1-d L’Eclaireur du 11 août 1910

L’ECLAIREUR du Jeudi 11 août 1910

Un Aéroplane à Lunéville

Une journée historique

               Pour la première fois un aéroplane a atterri à Lunéville. C’est pour notre cité une date historique que l’apparition sur la ville d’un de ces immenses oiseaux qui, de plus en plus nombreux, sillonnent maintenant les airs.

               Avertis par une affiche que nous avions posée sur une glace de la devanture de l’Imprimerie Nouvelle, dès quatre heures, plusieurs milliers de personnes se tenaient autour du champ de manœuvre. La curiosité était vivement excitée. Naturellement la grande nouvelle faisait l’objet de toutes les conversations. Pourvu qu’il vienne, entendait-on de tous les côtés, et que ça ne soit pas encore un lapin, et chacun rappelait en riant l’histoire de la Ville de Nancy .

               Mais la grande majorité des spectateurs qui savait que l’esprit ingénieux autant qu’inlassable du Conseiller Général du canton nord n’était, cette fois-ci, pour rien dans la venue de l’aéroplane, attendait avec la plus parfaite tranquillité.

               Vers quatre heure et demie la foule qui se tient sur le bas côté de la rue Villebois-Mareuil et au bout de l’Avenue Voltaire empiète peu à peu sur le champ de manœuvre. Quelques sous-officiers à cheval contiennent difficilement les curieux qui regardent de tous leur yeux de côté de Nancy.

Enfin, à 5 h. 15n l’adjudant Rossel, du 18ème Chasseurs, qui scrute l’horizon à l’aide d’une longue vue, s’écrie : le voilà.

               Effectivement, une minute après, du milieu du Champ de Mars, nous apercevons au loin, dans la direction de Mont, un point noir qui bientôt va devenir une ligne. Celle-ci grossit lentement d’abord, puis se détache en deux lignes superposées; il n’y a plus de doute, c’est bien l’aéroplane conduit par M. le lieutenant de Caumont, du 8ème Dragons, dont nous avons annoncé la venue.

               L’appareil, qui porte le numéro 43, passe au-dessus de la faïencerie, de la place Léopold et fait son apparition à une belle hauteur au-dessus des Bosquets, puis du champ de manœuvre. Il va jusqu’à Chanteheux et fait son virage au-dessus des cités des wagons et revient en descendant.

               Les acclamations retentissent de toutes parts, et quand après une courbe gracieuse, il se pose doucement à terre, à l’extrémité nord-ouest du champ de manœuvre, devant la maison Houël, les vivats enthousiastes partent de toutes les poitrines.

               A ce moment, de tous côtés, on se précipité vers l’appareil; le terrain est couvert de monde, car la foule de tout a l’heure s’est encore accrue; des usines de la ville ont licencié leurs ouvriers pour leur permettre d’aller voir l’aéroplane.

Il est exactement 5 h. 20 quand M. le lieutenant de Caumont touche terre avec une aisance extraordinaire; il était parti de Nancy à 4 h. 50.

               Des bombes partent de l’extrémité du champ de manœuvre pour annoncer et célébrer l’événement.

               Pendant ce temps, l’aviateur est reçu par ses camarades qui l’accueillent par des vivats; c’est de l’enthousiasme, presque du délire compréhensible, car le spectacle auquel nous venons d’assister  est vraiment beau de vaillance, d’audace, de sang-froid, d’habileté et d’aisance.

               A la descente M. de Caumont se rend au chalet de M. le capitaine Houël, ou une réception est improvisée. M. Castara, au nom de la population de Lunéville, remercie le hardi aviateur d’avoir acquiescé à sa demande et d’être venu malgré les fatigues de ses courses précédentes. On fête ensuite le verre de champagne en main, l’arrivée  du premier aéroplane dans notre cité.

               Mais l’empressement de la foule met en danger l’appareil. Les officiers sont débordés. De terribles poussées  se produisent un peu partout, tout le monde veut voir, au besoin toucher. M. le général de Mas Latrie, qui a reçu le jeune et audacieux aviateur, voit le danger. IL place lui-même un premier cordon de soldat autour de l’aéroplane. IL faut bientôt le remplacer par une compagnie de chasseurs armés de fusils et encore parvient-on avec peine  à maintenir les curieux.

               Le officiers de la garnison se sont rendus au cercle avec M. le lieutenant de Caumont pour célébrer l’exploit aérien de celui-ci. Pendant ce temps un soldat du 1er génie de la compagnie d’aviation venu avec l’auto convoyeur, vérifie tout le mécanisme de l’appareil. La fanfare du 17ème chasseurs sonne en honneur du héros du jour et saluera  de sons éclatants son départ de Lunéville.

               A 6h. 1/2, M. de Caumont réapparait. Les soldats font écarter la foule pour permettre à l’aérostat de prendre son vol. L’aviateur reconnaît la piste, donne un dernier coup d’œil à l’appareil, puis la cigarette à la bouche, il grimpe sur le siège. Le moteur est mis en marche.

               A ce moment un petit incident comique se produit. Le déplacement  d’air produit par le mouvement de rotation de l’hélice projette  sur la foule qui se tient derrière l’appareil une poussière intense; c’est la fuite générale à la grande joie des autres spectateurs.

               Mais l’appareil se met en mouvement, il roule  et s’élève presque aussitôt accompagné des acclamations de tous. IL se dirige sur Chanteheux où il opère un virage et repasse  au dessus du champ de manoeuvre, piquant droit sur Nancy par Vitrimont, tandis que la fanfare éclate, que tous les chapeaux , tous les mouchoirs toutes les ombrelles s’agitent en l’air et que les vivats retentissent de tous les côtés. L’aviateur répond de la main puis s’éloigne pour disparaître bientôt.