Le “Terrain de Guerre 1944”

 

Quelle est la situation à Lunéville en septembre 1944 ?

Le front des armées alliées depuis le 06 juin 1944, se déplacent en direction de l’Allemagne. Le 18 septembre 1944 est une date historique pour Lunéville qui voit sa libération !

Comment les choses se passent avec cette arrivée des armées alliées ?

C’est tout d’abord une logistique énorme qui doit alimenter ce front mouvant, et, au delà, ce sont des équipements en infrastructures qui sont nécessaires, et en premier lieu les possibilités pour l’aviation alliée de pouvoir être basée suffisamment près des théâtres d’opérations. Pourquoi le site de Lunéville  a t-il été retenu pour créer un terrain ? et cette décision a t-elle été prise uniquement par les Américains, ou en concertation avec les autorités locales ? Il est un fait que certains critères techniques étaient recherchés : Terrain plat, dégagé, desservi par une bonne voirie, orienté de préférence est/ouest  .

Pourtant, pourquoi créer un terrain alors que Lunéville dispose déjà d’un terrain d’aviation ?

Certes, mais le Champ de Mars ne correspond plus aux exigences de l’aviation en 1944, exigences en terme de longueur de piste disponible, dégagement du terrain etc.. Aussi, le choix s’est porté sur une zone favorable, entre Chanteheux et Croismare. Au demeurant, rappelons-nous que cette zone avait fait l’objet d’une étude en 1932.

En 1918, un appareil du genre Spad  XX avec 1300 kg au décollage, et ses 300 ch  n’avait pas les mêmes exigences qu’un P47 de 1944 de 2300 ch et 8000 kg de masse maxi au décollage !

C’est ainsi que Lunéville aura été retenu pour créer le terrain ALG, (en français : piste avancée d’aviation), nom de code Y-2

 

            Chaque terrain était désigné, pour des raisons de sécurité, sous un nom de code (Une   lettre suivie d’un numéro d’ordre) Le numéro 1 sera affecté au terrain de TANTONVILLE   (Y-1) construit au même moment. Les aérodromes américains ont reçu les préfixes A-, Y- ou R- et numérotés jusque 99 pour la  France, mais de nombreux champs «Y» se trouveraient également aux Pays- Bas ; Belgique et zones occupées de l’Allemagne. Les champs codés “R” étaient généralement situés en Allemagne occupée. Les aérodromes britanniques du continent étaient également numérotés consécutivement, mais avec un préfixe B. Tous les terrains ainsi crées à travers la France sont des installations provisoires, hormis les aérodromes capturés qui pouvaient être restaurés pour être utilisés comme terrain d’atterrissage avancé en un à trois jours en fonction de la quantité de dégâts et autres aléas. Les propriétaires des terrains réquisitionnés seront indemnisés pour le temps  que durera les installations. A la suite de quoi, tout est, en principe, remis en état d’origine, et la jouissance des terrain restituées aux propriétaires respectifs, mis à part ceux qui sont tout simplement abandonnés, ce qui semble être le cas, comme nous le verrons, de Lunéville.

 

Qui fait quoi et comment ?

C’est le Commandement du génie de l’ armée de l’air des États-Unis  IX Engineer Command  qui aura en charge la construction du terrain de Lunéville  en décembre 1944.

En 1944, d’une manière générale, construire un terrain d’aviation de guerre se décomposait en 4 grandes phases : Sélectionner une zone propice : Terrain plat, dégagé, desservi par une bonne voirie, orienté de préférence est/ouest, rendre le sol parfaitement nivelé. Une forte mobilisation d’engins mécaniques permettait cette opération en un minimum de temps. Il semble que ce déploiement sans compter d’une force mécanique  pour l’époque impressionnait les riverains, pas du tout habitués à une telle mécanisation. Facultativement : Poser la protection d’étanchéité le cas échéant, sinon de dispositif anti poussière, réalisée en bande bitumeux ou de jute. Enfin, poser le dispositif de renfort mécanique (résistance aux charges) constitué soit d’un grillage, livré en rouleau, ou de tôles perforées.

 

Comment se présentent les choses à Lunéville avant les travaux ?

 

Sur le fond de plan daté de 1938 (Image du site ‘Remonter le temps’), j’ai reporté en vert la position du terrain ALG Y2. Il sera implanté sur une multitude de petites parcelles cultivées, dont les propriétaires seront indemnisés le temps nécessaire. (En jaune le taxiway et brun les chemin de desserte pour les véhicules)

Sur ce gros plan, on aperçoit deux maisons dans l’emprise prévue pour le terrain Y-2, dont celle de gauche ( qui se retrouvera environ entre le taxiway et le chemin de desserte périphérique, qui pourrait bien avoir été utilisé comme QG, en témoigne cette photo “Quartier général du 324e groupe de chasse à Chanteheux (avril 1945)” (Hypothèse à confirmer)

Source : https://www.estrepublicain.fr/edition-de-luneville/2018/07/30/luneville-l-aerodrome-des-avions-us-et-des-pin-up : “Quartier général du 324e groupe de chasse à Chanteheux (avril 1945)” 

Toutefois, dans l’ouvrage de Gérard BAZIN ‘De l’Afrique à la Lorraine’, on lit page 67 qu’il s’agirait de l’état major du 314e, installé dans une ancienne gare du L.B.B. (Train d’intérêt secondaire Lunéville, Blamont, Badonviller) Si cela est exact, ma supposition ci-dessus est fausse. Toutefois, la ligne du L.B.B. passait plus au nord que l’emprise du terrain Y2, d’une part, et si l’on compare les 2 constructions, je reste favorable à ma supposition, d’autant que c’est le 314ème escadron qui est parqué le plus à l’ouest du terrain (suivi du 315ème en allant vers l’est puis du 316ème , ce dernier étant coté route nationale, ce qui correspond grosso modo à l’emplacement des bâtiments et hangars actuels sur l’aérodrome.

 

 

Les travaux

Il sera fait usage de plaques perforées, au moins pour la piste, (lesquelles, selon le livre de G Bazin) étaient posées sur un lit de paille) et de grillage peut être pour les surfaces annexes (taxiway, aire de stationnement etc…) Différents sites internet du reste parlent de ce terrain Y2, mais manquent de précision à ce sujet, certains disent que tout a été réalisé en PSP, mais la photo en bas de page remet en cause cette affirmation, car c’est du grillage qui a été utilisé.

Les travaux ont été réalisé entre le début et le 25 décembre 1944, ce qui est un délai qui semble très court (mais les exigences du front l’imposent), quand on considère : Qu’il a fallu niveler le terrain pour la piste, et toutes les aires de roulage, installer les dispositifs mécaniques, procéder aux installations annexes (électricité, abris etc…)

Ce type de construction de terrain était plus ou moins adapté de schémas standards, et avant Lunéville, un certain nombre d’ALG ont été construits, la technique devait donc être bien maîtrisée. Quant aux dimensions, la piste était de  5000 x 120 pieds (1524 x 36 m)

Si la maîtrise de ce type de chantier était donc facilité par l’expérience, revenons aux fameuses plaques PSP et livrons nous à un rapide calcul :

Les plaques PSP ont été utilisées de façon intensive pour la construction des nombreux aérodromes après le débarquement en Normandie.  Les plaques PSP étaient principalement utilisées pour stabiliser des surfaces sommaires, et créer des voies de circulations (taxiways), des pistes d aérodromes ou des routes.

Chaque PSP a une dimension d’environ 1 mètre carré, 3,05 mètres par 38 centimètres et un poids moyen de 27 kg.

Pour couvrir seulement l’équivalent d’une piste comme Lunéville (1524 mètres  x 36 mètres = 54 864 m2) il faut pas loin de 50 000 PSP pour une masse de plus de 1 300 tonnes ! et ce sans compter taxiway, aires de stationnement etc..

Impressionnant, quand on sait que les plaques étaient fabriquées aux USA…

Ce simple calcul nous fait prendre conscience de la logistique déployée globalement pour construire plusieurs centaines de terrain en Europe de l’est (Ce qui explique aussi que l’usage du grillage a été aussi beaucoup employé, car moins lourd (livré en rouleaux)

 

Pose de plaques PSP (Photo US National Archives)

 

Le terrain de Lunéville a été remis pour une utilisation opérationnelle par la douzième armée de l’air le 25 décembre 1944.


A qui servira cette piste avancée d’aviation ?

Y-2 sera utilisé par le 324th Fighter Group (lui-même composé des 314, 315 et 316ème escadron), du 04 janvier au 08 mai 1945.  Ce groupe de chasse a été équipé de P 40 jusqu’en juillet 1944 puis de P 47 ensuite. Avant Lunéville, il a été affecté aux secteurs suivants : Corse (juillet 44 – août 44), Le Luc (août 44 – septembre 44), Istres (sept.44),   Amberieu (Sept 44), Tavaux (septembre 44 – janvier 45), Lunéville (janvier 45 – mai 45) puis Stuttgart, Allemagne (mai 45 – Fin de la Seconde Guerre mondiale)

Voici quelques photos selon cette source : https://www.estrepublicain.fr/edition-de-luneville/2018/07/30/luneville-l-aerodrome-des-avions-us-et-des-pin-up

Si la légende de cette photo est exacte (Les chasseurs P47 sur l’un des parking) , c’est-à-dire que la photo a bien été prise à Y2, cela voudrait confirmer que la totalité des revêtements n’a pas été faite uniquement de PSP, mais que l’on a utilisé comme ici du grillage (Voir bas de page). Toutefois, d’après le livre de G Bazin, cette photo aurait été prise à Dole.

Même observation pour les matériaux sur cette photo suivante (Les P47 sur la piste de Chanteheux), qui confirme cette fois les PSP pour la piste

Décollage d’un P47 sur la piste de Chanteheux (à priori en 09) la neige laisse entrevoir au premier plan les PSP

Décollage d’un P47 sur la piste de Chanteheux (à priori en 27) Le photographe se serait situé non loin du QG

Sur cette excellente photo, prise d’est en ouest, j’ai symbolisé en vert l’emplacement du terrain d’aviation du ‘Champ de Mars’ et apporté quelques précisions sur les lieux. On distingue très bien la piste (que j’ai surligné en bleu), mais aussi les 2 taxiway reliant les  extrémités de piste, l’un par le nord, l’autre par le sud. Un chemin routier longeait également ces 2 taxiway, avec entre les deux, les aires de stationnement (76)

Source photo d’origine https://www.forgottenairfields.com/airfield-luneeville-croismare-1473.html

Le contrôle de l’aérodrome a été remis aux autorités françaises le 29 mai 1945, après le départ du 324th Fighter Group pour Stuttgart en Allemagne

S’il ne nous reste matériellement rien de cette piste avancée d’aviation, utilisée un peu plus de 4 mois, il est nécessaire de se souvenir que derrière cette technique, ces images d’archives et le plaisir de découvrir un pan de notre histoire aéronautique, il y a eu les drames humains.

Fort heureusement, une stèle est là pour le souvenir, car ce sont 20 hommes, qui ont décollé de Y2 pour ne pas y revenir :

https://c.estrepublicain.fr/edition-de-luneville/2016/09/28/luneville-joel-richard-pilote-et-amateur-d-engins-historiques-aimerait-symboliser-le-passe-de-l-aerodrome-par-un-avion-de-chasse-reforme-pas-si-simple

Sur le fond de plan actuel, j’ai reporté, d’une manière aussi précise que possible, la position du taxiway (jaune) le chemin de desserte en bleu, et l’emplacement de la stèle. On peut facilement imaginer que des pilotes, dont le nom figure sur la stèle, ont peut être roulé avec leur P47 presque là ou est érigée cette stèle !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


C’est en mars 23 que A Régnier me confie cette excellente photo, ou l’on voit notamment des P47 sur une aire de stationnement. On aperçoit les rangées d’arbres bordant à l’époque la route nationale 4, donc la photo est prise d’est en ouest. Cette photo a surtout le mérite ici de faire voir la technique qui a été utilisée et confirme que les aires de stationnement étaient revêtues de grillage.

Sur la gauche, la bande grisée devrait être le taxiway, avec son tracé en zig-zag. l’aspect diffère nettement de l’aire de stationnement, et donc la technique de construction doit être différente.


Pendant de nombreuses années après l’abandon du terrain Y2 par les américains, en mai 1945, des plaques psp ont une seconde vie, comme sur cette photo du hangar de l’Aéro-club de Lorraine (photo de 1975) ou elles servent de grilles de caniveaux.

Source : https://www.airhistory.net/photo/6868/F-PREH


Je me suis surtout intéressé ici au coté ‘infrastructure’ du terrain, mais vous pouvez en savoir plus sur le 324e FLIGHT GROUP, en consultant l’ouvrage de Gérard BAZIN : 


Message personnel :

Ayant égaré le numéro de téléphone et ne pouvant ainsi rappeler, la personne (qui réside à coté de Nancy) qui m’a contacté il y a quelques temps, au sujet d’un pilote dont le nom figure sur la stèle, pourrait-elle renouveler son appel ou me laisser un message via le formulaire de contact.